certe si est tam gran­di scien­tia et praes­cien­tia pol­lens ani­mus, cui cunc­ta prae­te­ri­ta et futu­ra ita nota sint, sicut mihi unum can­ti­cum notis­si­mum, nimium mira­bi­lis est ani­mus iste atque ad hor­ro­rem stu­pen­dus, quippe quem ita non lateat quid­quid per­ac­tum et quid­quid reli­cum sae­cu­lo­rum est, que­mad­mo­dum me non latet can­tan­tem illud can­ti­cum, quid et quan­tum eius abie­rit ab exor­dio, quid et quan­tum res­tet ad finem.

Si un esprit était suf­fi­sam­ment savant et devin pour connaître le pas­sé et le futur aus­si bien que je connais un chant très connu, ce serait un éton­ne­ment sans bornes, une stu­peur hor­ri­fiée. Rien ne lui échap­pe­rait du pas­sé ni rien de ce qui res­te­rait à venir pour les siècles futurs. Comme rien ne m’é­chappe du chant que je suis en train de chan­ter. Ni ce que je viens de chan­ter depuis le début ni ce qui me reste à chan­ter jus­qu’à la fin.

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Les Aveux [397–401]
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vol. 11
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chap. 30
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trad.  Frédéric Boyer
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p. 333

sed unde et qua et quo prae­te­rit cum meti­tur ? unde nisi ex futu­ro ? qua nisi per prae­sens ? quo nisi in prae­te­ri­tum ? ex illo ergo, quod non­dum est, per illud, quod spa­tio caret, in illud, quod iam non est.

Mais quand nous le mesu­rons, le temps, d’où vient-il, par où passe-t-il, où va-t-il ? d’où vient-il, sinon du futur ? par où passe-t-il, sinon par le pré­sent ? où va-t-il, sinon dans le pas­sé ? Son tra­jet est donc le sui­vant : il vient de ce qui n’est pas encore, passe par ce qui n’a aucune éten­due, et va vers ce qui n’est déjà plus.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 21
, tra­duc­tion mai­son

Quod autem nunc liquet et cla­ret, nec futu­ra sunt nec prae­te­ri­ta, nec pro­prie dici­tur : tem­po­ra sunt tria, prae­te­ri­tum, prae­sens et futu­rum, sed for­tasse pro­prie dice­re­tur : tem­po­ra sunt tria, prae­sens de prae­te­ri­tis, prae­sens de prae­sen­ti­bus, prae­sens de futu­ris. sunt enim haec in ani­ma tria quae­dam, et ali­bi ea non video prae­sens de prae­te­ri­tis memo­ria, prae­sens de prae­sen­ti­bus contui­tus, prae­sens de futu­ris expec­ta­tio.

Maintenant c’est clair et net. Le futur ni le pas­sé ne sont. À pro­pre­ment par­ler, on ne peut dire qu’il y a trois temps : le pas­sé, le pré­sent et le futur. À pro­pre­ment par­ler, il faut dire qu’il y a trois temps : le pré­sent du pas­sé, le pré­sent du pré­sent, le pré­sent du futur. Les trois sont dans l’âme et on ne les trouve nulle part ailleurs : au pré­sent du pas­sé, elle se sou­vient de ce qui n’est plus ; au pré­sent du pré­sent, elle prête atten­tion à ce qui est ; au pré­sent du futur, elle tend vers ce qui n’est pas encore.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 20
, tra­duc­tion mai­son foi­reuse

intueor auro­ram : ori­tu­rum solem prae­nun­tio. quod intueor, prae­sens est, quod prae­nun­tio, futu­rum : non sol futu­rus, qui iam est, sed ortus eius, qui non­dum est : tamen etiam ortum ipsum nisi ani­mo ima­gi­na­rer, sicut modo cum id loquor, non eum pos­sem prae­di­cere. sed nec illa auro­ra, quam in cae­lo video, solis ortus est, quam­vis eum prae­ce­dat, nec illa ima­gi­na­tio in ani­mo meo : quae duo prae­sen­tia cer­nun­tur, ut futu­rus ille ante dica­tur.

Je vois l’au­rore : je pré­sage le lever du soleil. Ce que je vois est pré­sent, ce que je pré­sage est à venir. Ce n’est pas le soleil qui est à venir ; il est déjà là ; c’est son lever qui n’est pas encore là. Pourtant ce lever, si mon âme n’é­tait en mesure de se le figu­rer (par exemple en par­lant), je ne pour­rais pas le pré­dire. Cette aurore que je vois dans le ciel n’est pas le lever du soleil (elle le pré­cède) et elle n’est pas non plus ce que mon âme se figure : il y a là deux per­cep­tions au pré­sent, pour une pré­dic­tion du futur.

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t. 11
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chap. 18
, tra­duc­tion mai­son

nec unus dies totus est prae­sens

Aucun jour n’est pré­sent dans sa tota­li­té.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 15
, tra­duc­tion mai­son

quid est ergo tem­pus ? si nemo ex me quae­rat, scio ; si quae­ren­ti expli­care velim, nes­cio

Qu’est-ce donc que le temps ? Tant que per­sonne ne me le demande, je le sais ; si on me le demande et que je veux l’ex­pli­quer, je ne le sais plus.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 14
, tra­duc­tion mai­son

anni tui nec eunt nec veniunt : isti autem nos­tri eunt et veniunt, ut omnes veniant. anni tui omnes simul stant, quo­niam stant, nec euntes a venien­ti­bus exclu­dun­tur, quia non tran­seunt : isti autem nos­tri omnes erunt, cum omnes non erunt. anni tui dies unus, et dies tuus non coti­die, sed hodie, quia hodier­nus tuus non cedit cras­ti­no ; neque enim suc­ce­dit hes­ter­no.

Tes années ne vont ni ne viennent ; les nôtres vont et viennent afin qu’elles passent toutes. Si tes années demeurent com­pactes, c’est qu’elles demeurent. Elles ne sont pas chas­sées par les années qui viennent, parce qu’elles ne passent jamais. Tes années sont une seule jour­née, et cette jour­née n’est pas tous les jours, mais aujourd’­hui, tou­jours, parce que ton aujourd’­hui ne s’ef­face pas devant un demain, pas plus qu’il ne suc­cède à un hier.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 13
, tra­duc­tion mai­son

Sed dico te, deus nos­ter, omnis crea­tu­rae crea­to­rem, et si cae­li et ter­rae nomine omnis crea­tu­ra intel­le­gi­tur, auden­ter dico : ante­quam face­ret deus cae­lum et ter­ram, non facie­bat ali­quid. si enim facie­bat, quid nisi crea­tu­ram facie­bat ? et uti­nam sic sciam, quid­quid uti­li­ter scire cupio, que­mad­mo­dum scio, quod nul­la fie­bat crea­tu­ra, ante­quam fie­ret ulla crea­tu­ra.

Toi, notre Dieu, créa­teur de toutes créa­tures pour autant qu’elles sont com­prises sous les noms de « ciel » et de « terre », je déclare avec har­diesse qu’a­vant de faire le ciel et la terre, tu ne fai­sais rien. Car si tu avais alors fait quelque chose, qu’au­rais-tu pu faire d’autre que de la créa­ture ? Et j’ai­me­rais être aus­si cer­tain de tout ce que je désire savoir que je suis cer­tain de ceci : de la créa­ture, il ne s’en créait pas avant la créa­tion.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 12
, tra­duc­tion mai­son

Quid est illud, quod inter­lu­cet mihi et per­cu­tit cor meum sine lae­sione ? et inhor­res­co et inar­des­co : inhor­res­co, in quan­tum dis­si­mi­lis ei sum, inar­des­co, in quan­tum simi­lis ei sum.

Qu’est-ce que c’est, cette lumière qui scin­tille en moi et tra­verse mon cœur sans cau­ser de bles­sure ? Je m’ef­fraie et m’en­flamme : je m’ef­fraie tant je lui dis­semble ; je m’en­flamme tant je lui res­semble.

Qu’est-ce que c’est, cette lumière qui scin­tille devant moi et tra­verse mon cœur sans cau­ser de bles­sure ? Je prends peur et prends feu : peur de ce que je lui suis si dis­sem­blable ; feu de ce que je lui suis si sem­blable.

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Confessiones [397–401]
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t. 11
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chap. 9
, tra­duc­tions mai­son

neque enim fini­tur, quod dice­ba­tur, et dici­tur aliud, ut pos­sint dici omnia, sed simul ac sem­pi­terne omnia

Jamais ce qui est dit ne finit. On ne dit pas une chose après l’autre pour que tout soit dit. Mais tout est dit ensemble et pour tou­jours.

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Les Aveux [Confessiones (397–401)]
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trad.  Frédéric Boyer
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p. 314