Il y a déjà longtemps que nous aurions dû faire mention d’une circonstance effleurée par nous en plus d’une occasion, et qui pourrait se traduire par cette formule : il n’est rien de plus dangereux pour l’esprit que son association avec les Grandes Choses.
Un homme se promène dans une forêt, gravit une montagne et voit le monde étendu à ses pieds ; ou il considère son enfant qu’on lui a donné à tenir pour la première fois, ou encore il savoure le bonheur d’obtenir une situation enviée. Nous demandons ce qui se passe en lui. Sans aucun doute, lui semble-t-il, beaucoup de choses, profondes et graves ; le malheur est qu’il n’a pas la présence d’esprit de les prendre pour ainsi dire au mot. Tout ce qu’il y a d’admirable devant lui, hors de lui, et qui l’enferme comme l’habitacle d’une boussole, tire ses pensées hors de lui. Ses regards s’attachent à mille détails, mais il a le sentiment secret d’avoir épuisé ses munitions. Dehors, la grande heure, l’heure profonde, imprégnée d’âme, imprégnée de soleil, recouvre le monde entier, jusqu’en ses moindres feuilles et veinules, d’une couche d’argent galvanique ; mais à l’autre extrémité, à l’extrémité personnelle du monde se fait bientôt sentir un certain manque intime de substance, on dirait qu’il s’y forme un immense O rond et vide. Ce phénomène est le symptôme classique du contact avec les Grandes Choses Éternelles et du séjour dans les hauts lieux de la Nature et de l’Humanité. Chez les personnes qui recherchent la société des Grandes Choses (au nombre desquelles il faut évidemment compter aussi les grandes âmes, pour qui nulle chose ne peut être petite), l’intériorité se voit involontairement déployée en une vaste superficialité.
C’est pourquoi l’on pourra définir le danger de l’association avec les Grandes Choses comme l’une des lois de la conservation de la matière intellectuelle, loi qui semble avoir une valeur assez générale. Les propos des personnalités haut placées et de grande influence sont ordinairement plus creux que les nôtres. Les pensées qui sont en relation particulièrement étroite avec des sujets particulièrement respectables sont telles ordinairement que, sans ce privilège, elles passeraient pour tout à fait arriérées. Nos devoirs les plus précieux, la patrie, la paix, l’humanité, la vertu, et d’autres également précieux, portent sur leur dos la plus médiocre flore intellectuelle. Voilà donc le monde renversé ! Mais si l’on admet que le traitement d’un thème peut être d’autant plus insignifiant que le thème lui-même est plus chargé de sens, l’ordre n’est-il pas rétabli ?
Il se trouve seulement que cette loi, qui aide tant à l’intelligence de la vie intellectuelle européenne, n’est pas toujours également visible. Dans les périodes de transition d’un groupe de Grandes Choses à un autre, l’esprit qui cherche à se mettre à leur service peut même passer pour révolutionnaire alors qu’il ne fait que changer d’uniforme. On pouvait déjà constater une transition de ce genre à l’époque où les personnages dont il est ici question vivaient leurs soucis et leurs triomphes. Ainsi, par exemple, il y avait des livres (pour commencer par un sujet qui importait fort à Arnheim) qui, pour être tirés à de très nombreux exemplaires, n’en étaient pas moins encore loin d’être suffisamment respectés, bien que les temps eussent déjà commencé où l’on ne respectait plus les livres qu’à partir d’un certain tirage. On connaissait déjà ces industries influentes que sont le football et le tennis, mais on hésitait encore à leur créer des chaires dans les Écoles polytechniques. En fin de compte, que les pommes de terre aient été importées d’Amérique, supprimant ainsi les famines périodiques de l’Europe, par le regretté ferrailleur et amiral sir Francis Drake ou par le non moins regretté, fort cultivé et non moins batailleur amiral Raleigh, que ç’ait été le fait d’anonymes soldats espagnols ou même du brave filou et marchand d’esclaves Hawkins… pendant longtemps, personne n’aurait eu l’idée d’accorder à ces hommes, à cause des pommes de terre, plus d’importance que, mettons, au physicien Al Schîrasî dont on disait seulement qu’il a donné de l’arc-en-ciel une explication exacte. Avec la période bourgeoise, des modifications apparurent dans l’évaluation de ces mérites. Au temps d’Arnheim, cette évolution était déjà très avancée, et seuls de vieux préjugés l’entravaient encore. La quantité de l’effet, et l’effet de la quantité, objet nouveau et frappant du respect universel, devait encore lutter avec un respect aristocratique, démodé et d’ailleurs décroissant, de la grande qualité. Mais, dans le monde des notions, on avait déjà pu voir en découler les compromis les plus insensés : en particulier, la notion de grand esprit qui, telle que nous l’avons connue dans la dernière génération, devait être une synthèse de l’importance personnelle et de l’importance pommes-de-terre : on attendait un homme qui connût la solitude du génie et n’en fût pas moins compréhensible à tous comme le rossignol.
Il était difficile de prédire ce qu’il en adviendrait, parce qu’on ne reconnaît ordinairement le danger de l’association avec les Grandes Choses que lorsque la Grandeur de ces Choses est déjà à demi détrônée. Rien n’est plus aisé que de sourire de l’huissier qui, au nom de Sa Majesté, a traité avec condescendance les parties comparues ; mais si l’homme qui, au nom du Lendemain, traite avec respect l’Aujourd’hui, est un huissier ou non, on ne le sait d’ordinaire que le surlendemain. Le danger de l’association avec les Grandes Choses présente cette particularité désagréable que si les choses changent, le danger, lui, demeure le même.
Es wäre schon längst eines Umstands zu erwähnen gewesen, der in verschiedenen Verbindungen gestreift worden ist ; die Formel für ihn mag etwa lauten : Es gibt nichts, was dem Geist so gefährlich wäre wie seine Verbindung mit großen Dingen.
Ein Mensch wandert durch einen Wald, besteigt einen Berg und sieht die Welt unter sich ausgebreitet, betrachtet sein Kind, das man ihm zum erstenmal in die Arme legt, oder genießt das Glück, irgendeine Lage einzunehmen, die allgemein beneidet wird ; wir fragen : was mag dabei in ihm vorgehen ? Sicher ist es, so kommt es ihm vor, sehr Vieles, Tiefes und Wichtiges ; nur hat er nicht die Geistesgegenwart, es sozusagen beim Wort zu nehmen. Das Bewundernswerte vor und außer ihm, das ihn wie ein magnetisches Gehäuse einschließt, zieht seine Gedanken aus ihm heraus. Da stecken seine Blicke in tausend Einzelheiten, aber ihm ist heimlich zumute, als hätte er all seine Munition verschossen. Draußen überzieht die durchseelte, durchsonnte, vertiefte oder große Stunde die Welt mit einem galvanischen Silber bis in alle Blättchen und Äderchen ; an ihrem anderen, persönlichen Ende aber macht sich bald ein gewisser, innerer Stoffmangel merklich, es entsteht dort sozusagen ein großes, leeres, rundes »O«. Dieser Zustand ist das klassische Symptom der Berührung mit allem Ewigen und Großen wie des Verweilens auf den Höhepunkten der Menschheit und Natur. Personen, welche die Gesellschaft großer Dinge bevorzugen – und dazu gehören vornehmlich auch die großen Seelen, für die es überhaupt keine kleinen Dinge gibt, – wird unwillkürlich das Innere zu einer ausgedehnten Oberflächlichkeit herausgezogen.
Man könnte die Gefahr der Verbindung mit großen Dingen darum auch als ein Gesetz von der Erhaltung der geistigen Materie bezeichnen, und es scheint ziemlich allgemein zu gelten. Die Reden hochgestellter, im Großen wirkender Personen sind gewöhnlich inhaltsloser als unsere eigenen. Gedanken, die in einer besonders nahen Beziehung zu besonders würdigen Gegenständen stehen, sehen gewöhnlich so aus, daß sie ohne diese Begünstigung für sehr zurückgeblieben gehalten würden. Die uns teuersten Aufgaben, die der Nation, des Friedens, der Menschheit, der Tugend und ähnlich teuere tragen auf ihrem Rücken die billigste Geistesflora. Das wäre eine sehr verkehrte Welt ; aber wenn man annimmt, daß die Behandlung eines Themas desto unbedeutender sein darf, je bedeutender dieses Thema selbst ist, dann ist es eine Welt der Ordnung.
Allein, dieses Gesetz, das so viel zum Verständnis des europäischen Geisteslebens beizutragen vermag, liegt nicht immer gleich klar zu Tage, und in Zeiten des Übergangs von einer Gruppe großer Gegenstände zu einer neuen kann der den Dienst der großen Gegenstände suchende Geist sogar umstürzlerisch aussehen, obgleich er nur die Livree wechselt. Ein solcher Übergang war schon damals zu bemerken, als die Menschen, von denen hier berichtet wird, ihre Sorgen und Triumphe hatten. So gab es zum Beispiel schon Bücher, um mit einem Gegenstand zu beginnen, an dem Arnheim besonders viel gelegen war, die in sehr großen Auflagen verkauft wurden, aber man erwies ihnen noch nicht den größten Respekt, obgleich bereits großer Respekt nur Büchern von einer gewissen Auflagenhöhe aufwärts erwiesen wurde. Es gab einflußreiche Industrien, wie die des Fußballspiels oder des Tennis, aber man zögerte noch, ihnen an den technischen Hochschulen Lehrstühle aufzustellen. Alles in allem : ob nun der selige Raufbold und Admiral Drake seinerzeit die Kartoffel aus Amerika eingeführt hat, womit das Ende der regelmäßigen Hungersnöte in Europa begann, oder ob das der weniger selige, sehr gebildete und ebenso rauflustige Admiral Raleigh getan hat oder ob es namenlose spanische Soldaten gewesen sind oder gar der brave Gauner und Sklavenhändler Hawkins – lange Zeit ist es niemand eingefallen, wegen der Kartoffeln diese Männer für bedeutender zu halten als etwa den Physiker Al Schîrasî, von dem man nur weiß, daß er den Regenbogen richtig erklärt hat ; aber mit dem bürgerlichen Zeitalter hatte eine Umwertung im Range solcher Leistungen begonnen, und zur Zeit Arnheims war sie schon weit gediehen und wurde nur noch durch ältere Vorurteile gehemmt. Die Quantität der Wirkung und Wirkung der Quantität, als neuer, sonnenklarer Gegenstand der Verehrung, kämpfte noch mit einer veraltenden und erblindeten adeligen Verehrung der großen Qualität, aber in der Vorstellungswelt waren schon die tollsten Kompromisse daraus entstanden, wie gleich die Vorstellung des großen Geistes selbst, die so, wie wir sie im letzten Menschenalter kennen gelernt haben, eine Synthese von eigener und Kartoffelbedeutung sein mußte, denn man wartete auf einen Mann, der die Einsamkeit des Genies haben sollte, aber dabei doch die Gemeinverständlichkeit einer Nachtigall.
Es war schwer, vorher zu sagen, was auf diese Weise herauskommen werde, da man die Gefahr der Verbindung mit großen Dingen gewöhnlich erst durchschaut, wenn die Größe dieser Dinge schon halb vorbei ist. Nichts ist einfacher, als über den Amtsdiener zu lächeln, der im Namen Sr. Majestät die erschienenen Parteien herablassend behandelt hat, aber ob der Mann, der im Namen des Morgen das Heute emporführend behandelt, ein Amtsdiener ist oder nicht, das weiß man gewöhnlich nicht, ehe übermorgen ist. Die Gefahr der Verbindung mit großen Dingen hat die sehr unangenehme Eigenschaft, daß die Dinge wechseln, aber die Gefahr immer gleich bleibt.
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t. 1
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chap. 88
: « De l’association avec les Grandes Choses »
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trad.
Philippe Jaccottet
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p. 501–503