Quand je prends l’ascenseur, je me sens vraiment comme l’enfant de mon époque.
Wenn ich Lift fahre, komme ich mir so recht wie das Kind meiner Zeit vor.
Quand je prends l’ascenseur, je me sens vraiment comme l’enfant de mon époque.
Wenn ich Lift fahre, komme ich mir so recht wie das Kind meiner Zeit vor.
L’air s’offre au corps, la seule chose que tout le monde possède de toute façon. Jamais le sport ne fut mis à l’honneur, pratiqué, planifié autant que de nos jours, jamais on n’a tant attendu de lui. Il passe pour être une activité saine, le cœur du sportif a supplanté celui du joyeux buveur de bière. La peau bronzée confère sans plus l’éclat de la santé, c’est le sud ou la montagne qu’elle incarne au pays. On prend son parti du fait que dans des conditions de vie restées bourgeoises, le sport abêtit, et que dès lors il est encouragé par ceux d’en haut.
Cette persistance ou ce retour de l’autonomie du politique (d’une juridiction qui ne soit pas gestion) que le marxisme a cherché à faire consister, la recherche démocratique elle aussi y prétend. Mais entre sa source grecque qui la rassure plus qu’elle ne la soutient et ce qui se dit du contrat depuis Rousseau, rien encore n’a été trouvé qui règle la question. Sans doute cette nature flottante de la définition démocratique appartient-elle à son être le plus propre, mais il n’empêche qu’elle se transforme en limite aussitôt que du réel, sous une forme non seulement non flottante, mais dure et tranchée, lui est asséné. Les diverses formes récurrentes de bonapartisme (et toutes les idéologies de l’État fort ou de l’homme providentiel), le marxisme-léninisme et aussi le fascisme (qui reprend à son compte la forme religieuse du rassemblement) ont été ou sont tour à tour des formes de ce « réel » qui heurte la démocratie et la blesse ou la liquide, mais comme en l’exposant d’abord à sa propre fragilité et à ce que l’on pourrait appeler l’insuffisance (ou la suffisance, bien souvent) de son affirmation. À dire vrai, c’est davantage dans la mémoire de ce qu’elle a eu à subir que dans l’ordre de ce qu’elle réalise, que la démocratie trouve sa ressource la plus puissante. Ici, les pertes sont toujours plus parlantes que les profits. Pourtant, constituer la démocratie en pure mémoire de la perte (ce à quoi beaucoup, semble-t-il, s’emploient) est encore un geste trop pathétique pour que puisse s’y former et s’y inventer la forme proprement démocratique de l’autonomie du politique, cette forme qui serait la forme enfin totalement politique.
De ce « commun », le communisme comme son nom l’indique a voulu être l’expression et la légitimité conductrice. En tant qu’il était un tel projet, il échappait aux critères traditionnels de légitimation, révoquant tous les pouvoirs institués, appelant l’humanité à verser en bloc dans le partage. Mais ce projet, malgré toute la violence de rupture qui en accompagne l’éclosion, le communisme ne l’a pas tiré de nulle part. Le communisme non seulement provient de la philosophie, mais provient aussi (ou dérive, ou bifurque à l’intérieur) de toute une tradition qui se confond avec la tradition même de l’Occident, où la recherche d’un « commun » trame depuis l’origine la totalité de l’activité politique et religieuse : tout l’ontothéologique se déverse dans cette quête d’un « commun », dans cette recherche d’une puissance massive de convocation. Le communisme n’apparaît au fond que comme l’effort (démesuré, gauche, brutal) de rabattre les motifs d’une telle convocation dans l’unique rumeur d’une humanité délivrée de la transcendance, ne trouvant plus hors d’elle-même mais en elle-même le tenon de son unité. Le communisme rend effectif dans l’ordre politique le passage qui conduit l’Occident de La Divine Comédie à La Comédie humaine. Ce passage, le capitalisme l’a effectué dans l’ordre économique et social – et ce qu’étudie le livre qu’est Le Capital, c’est le nouveau fonctionnement qui résulte de ce passage et de cette redistribution sauvages – mais le marxisme est le mouvement qui cherche à tirer la conséquence politique logique de cette redistribution.
C’est la succession pure et simple, la reproduction de la diversité oppressante de la vie sous une forme unidimensionnelle, comme dirait un mathématicien, qui nous rassure ; l’alignement de tout ce qui s’est passé dans l’espace et le temps le long d’un fil, ce fameux « fil du récit » justement, avec lequel finit par se confondre le fil de la vie. Heureux celui qui peut dire « lorsque », « avant que » et « après que » ! Il peut bien lui être arrivé malheur, il peut s’être tordu dans les pires souffrances : aussitôt qu’il est en mesure de reproduire les événements dans la succession de leur déroulement temporel, il se sent aussi bien que si le soleil lui brillait sur le ventre. C’est ce dont le roman a tiré habilement profit : le voyageur peut chevaucher à travers les campagnes sous des trombes d’eau ou faire craquer la neige sous ses semelles par moins vingt degrés, le lecteur se sent à son aise. Ce serait assez difficile à comprendre si cet éternel tour de passe-passe de l’art narratif, à quoi même les nourrices recourent pour calmer les enfants, si cette « perspective de l’intelligence », ce « raccourcissement des distances » ne faisaient déjà partie intégrante de la vie. La plupart des hommes sont, dans leur rapport fondamental avec eux-mêmes, des narrateurs. Ils n’aiment pas la poésie, ou seulement par moments. Même si quelques « parce que » et « pour que » se mêlent ici et là au fil de la vie, ils n’en ont pas moins en horreur toute réflexion qui tente d’aller au-delà. Ils aiment la succession bien réglée des faits parce qu’elle a toutes les apparences de la nécessité, et l’impression que leur vie suit un « cours » est pour eux comme un abri dans le chaos. Ulrich s’apercevait maintenant qu’il avait perdu le sens de cette narration primitive à quoi notre vie privée reste encore attachée bien que tout, dans la vie publique, ait déjà échappé à la narration et, loin de suivre un fil, s’étale sur une surface subtilement entretissée.
Es ist die einfache Reihenfolge, die Abbildung der überwältigenden Mannigfaltigkeit des Lebens in einer eindimensionalen, wie ein Mathematiker sagen würde, was uns beruhigt ; die Aufreihung alles dessen, was in Raum und Zeit geschehen ist, auf einen Faden, eben jenen berühmten »Faden der Erzählung«, aus dem nun also auch der Lebensfaden besteht. Wohl dem, der sagen kann »als«, »ehe« und »nachdem«! Es mag ihm Schlechtes widerfahren sein, oder er mag sich in Schmerzen gewunden haben : sobald er imstande ist, die Ereignisse in der Reihenfolge ihres zeitlichen Ablaufes wiederzugeben, wird ihm so wohl, als schiene ihm die Sonne auf den Magen. Das ist es, was sich der Roman künstlich zunutze gemacht hat : der Wanderer mag bei strömendem Regen die Landstraße reiten oder bei zwanzig Grad Kälte mit den Füßen im Schnee knirschen, dem Leser wird behaglich zumute, und das wäre schwer zu begreifen, wenn dieser ewige Kunstgriff der Epik, mit dem schon die Kinderfrauen ihre Kleinen beruhigen, diese bewährteste »perspektivische Verkürzung des Verstandes« nicht schon zum Leben selbst gehörte. Die meisten Menschen sind im Grundverhältnis zu sich selbst Erzähler. Sie lieben nicht die Lyrik, oder nur für Augenblicke, und wenn in den Faden des Lebens auch ein wenig »weil« und »damit« hineingeknüpft wird, so verabscheuen sie doch alle Besinnung, die darüber hinausgreift : sie lieben das ordentliche Nacheinander von Tatsachen, weil es einer Notwendigkeit gleichsieht, und fühlen sich durch den Eindruck, daß ihr Leben einen »Lauf« habe, irgendwie im Chaos geborgen. Und Ulrich bemerkte nun, daß ihm dieses primitive Epische abhanden gekommen sei, woran das private Leben noch festhält, obgleich öffentlich alles schon unerzählerisch geworden ist und nicht einem »Faden« mehr folgt, sondern sich in einer unendlich verwobenen Fläche ausbreitet.
Il croit qu’il est possible de produire synthétiquement une vie juste, comme on fabrique du caoutchouc ou de l’azote.
À ce moment-là, une fois de plus, Ulrich interprétait à sa manière les mots violence et amour. Le mot violence contenait tous ses penchants au mal et à la dureté ; il était l’effluence de toute conduite sceptique, objective, lucide. Sans doute un certain goût de la violence froide et brutale avait-il joué jusque dans le choix de sa profession, si bien qu’Ulrich n’était peut-être pas devenu mathématicien sans quelque intention de cruauté. Tout cela était touffu comme le feuillage d’un arbre qui dissimule le tronc lui-même. D’autre part, lorsqu’on ne parle pas simplement de l’amour dans le sens courant du mot, mais qu’en l’entendant on aspire à un état qui se distingue, jusque dans les moindres atomes de notre corps, de la misère du non-amour, lorsqu’on se sent à la fois doué et dépourvu de toutes les qualités, lorsqu’on a constamment l’impression que c’est « toujours la même histoire », les mêmes événements qui se reproduisent, parce que la vie (pleine à craquer de la fierté de sa présence « ici et maintenant », mais en fin de compte si incertaine, si parfaitement irréelle !) se précipite immanquablement dans les deux ou trois douzaines de moules à cake qui constituent la réalité, lorsqu’on estime que manque un morceau à tous les cercles dans lesquels nous tournons, que de tous les systèmes que nous avons institués, aucun ne possède le secret du repos, alors, toutes ces choses qui semblent si différentes se confondent elles aussi comme les branches d’un arbre qui dissimulent de toutes parts le tronc.
In diesem Augenblick waren Gewalt und Liebe für Ulrich wieder nicht ganz die gewöhnlichen Begriffe. Alles, was er an Neigung zum Bösen und Harten besaß, lag in dem Wort Gewalt, es bedeutete den Ausfluß jedes ungläubigen, sachlichen und wachen Verhaltens ; hatte doch eine gewisse harte, kalte Gewalttätigkeit auch bis in seine Berufsneigungen hineingespielt, so daß er vielleicht nicht ganz ohne eine Absicht auf das Grausame Mathematiker geworden war. Das hing zusammen wie das Dickicht eines Baums, das den Stamm selbst verdeckt. Und wenn man von Liebe nicht bloß im üblichen Sinn spricht, sondern sich bei ihrem Namen nach einem Zustand sehnt, der bis in die Atome des Körpers anders ist als der Zustand der Liebesarmut ; oder wenn man fühlt, daß man ebensogut jede Eigenschaft an sich hat wie keine ; oder wenn man unter dem Eindruck steht, daß nur Seinesgleichen geschieht, weil das Leben – zum Platzen voll Einbildung auf sein Hier und Jetzt, letzten Endes aber ein sehr ungewisser, ja ausgesprochen unwirklicher Zustand ! – sich in die paar Dutzend Kuchenformen stürzt, aus denen die Wirklichkeit besteht ; oder daß an allen Kreisen, in denen wir uns drehen, ein Stück fehlt ; daß von allen Systemen, die wir errichtet haben, keines das Geheimnis der Ruhe besitzt : so hängt auch das, so verschieden es aussieht, zusammen wie die Äste eines Baums, die nach allen Seiten den Stamm verbergen.
Pour on ne sait quelle raison, Ulrich avait l’impression, bien que ce fût la fin de l’hiver, de contempler une de ces nuits d’octobre où la fraîcheur est encore douce, et il lui semblait que la ville y fût roulée comme dans une immense, couverture. Puis, il pensa qu’on pouvait tout aussi bien dire d’une couverture qu’elle ressemble à une nuit d’octobre.
Aus irgendeinem Grund hatte Ulrich auf das stärkste den Eindruck, in eine mildkalte Oktobernacht hinauszustarren, obgleich es Spätwinter war, und es kam ihm vor, die Stadt sei in sie eingehüllt wie in eine ungeheure Wolldecke. Dann fiel ihm ein, daß man ebensogut von einer Wolldecke sagen könnte, sie sei wie eine Oktobernacht.
Quelle est donc cette vie qu’il faudrait de loin en loin perforer de récréations ? Ferions-nous des trous dans un tableau sous prétexte que sa beauté exige de nous trop d’efforts ? A‑t-on prévu des vacances dans la béatitude éternelle ? Je vous avoue que l’idée même du sommeil m’est parfois désagréable.
Welch ein Leben, das man zeitweilig mit Erholungen durchlöchern muß ! Würden wir in ein Bild Löcher stoßen, weil es zu schöne Ansprüche an uns stellt?! Sind in der ewigen Seligkeit etwa Urlaubswochen vorgesehen ? Ich gestehe Ihnen, daß mir sogar die Vorstellung des Schlafs manchmal unangenehm ist.
« [Q]ue faites-vous, en lisant ? Je vous répondrai tout de suite : vos opinions omettent ce qui ne leur agrée pas. L’auteur a déjà fait de même. Rêvant ou rêvassant, vous omettez également. Je constate donc ceci : la beauté ou l’émotion entrent dans le monde par l’omission. Notre attitude au sein de la réalité est évidemment un compromis, un état moyen dans lequel les sentiments s’empêchent mutuellement d’atteindre au déploiement de la passion et se perdent dans la grisaille ; les enfants, qui ignorent encore cette attitude, sont donc plus heureux et plus malheureux que les adultes. Et j’ajouterai tout de suite que les gens bêtes omettent aussi ; on sait bien que la bêtise rend heureux. Voici donc ma première proposition : que nous essayions de nous aimer comme si vous et moi étions les personnages d’un poète qui se rencontrent dans les pages de son livre. Négligeons donc, en tout cas, cette enveloppe de graisse qui vous fait croire que la réalité est chose toute ronde. »
»Was tun Sie da ? Ich will gleich die Antwort geben : Ihre Auffassung läßt aus, was Ihnen nicht paßt. Das gleiche hat schon der Autor getan. Ebenso lassen Sie im Traum oder in der Phantasie aus. Ich stelle also fest : Schönheit oder Erregung kommt in die Welt, indem man fortläßt. Offenbar ist unsere Haltung inmitten der Wirklichkeit ein Kompromiß, ein mittlerer Zustand, worin sich die Gefühle gegenseitig an ihrer leidenschaftlichen Entfaltung hindern und ein wenig zu Grau mischen. Kinder, denen diese Haltung noch fehlt, sind darum glücklicher und unglücklicher als Erwachsene. Und ich will gleich hinzufügen, auch die Dummen lassen aus ; Dummheit macht ja glücklich. Ich schlage also als erstes vor : Versuchen wir einander zu lieben, als ob Sie und ich die Figuren eines Dichters wären, die sich auf den Seiten eines Buchs begegnen. Lassen wir also jedenfalls das ganze Fettgerüst fort, das die Wirklichkeit rund macht.«