Mais je veux partir, je veux monter l’escalier, et dussé-je n’avancer que par culbutes. De la société, je me promets tout ce qui me manque, l’organisation de mes forces surtout, auxquelles ne saurait suffire le genre d’exaspération qui constitue l’unique possibilité de ce célibataire de la rue. Pour celui-ci, il est déjà bien content s’il parvient à maintenir sa personne physique, d’ailleurs pitoyable, à défendre les quelques repas qu’il prend, à éviter l’influence des autres, bref, s’il conserve tout ce qu’il est possible de conserver dans ce monde dissolvant. Mais ce qu’il perd, il essaie de le regagner par force,…
Quand j’y songe, il me faut dire qu’à maints égards, mon éducation m’a causé beaucoup de tort. Car il est sûr que je n’ai pas été élevé dans quelque lieu isolé, dans une ruine, peut-être, à l’intérieur des montagnes ; si cela était, je ne pourrais proférer le moindre mot de reproche. Au risque d’être incompris de toute la kyrielle de mes anciens maîtres, je dis que j’eusse été volontiers, que j’eusse préféré être ce petit habitant des ruines rôti par le soleil qui, à travers les décombres, m’eût baigné de tous côtés sur le lierre tiède, même si j’avais…
Je m’étais toujours représenté, et sans doute non sans raison, cette cavité comme la plus belle demeure qui puisse exister pour moi. Se suspendre à la voûte, y grimper, glisser jusqu’en bas, culbuter et retrouver le sol sous ses pieds, et exécuter tous ces jeux littéralement sur le corps de la place forte, cependant sans être dans son espace proprement dit ; pouvoir éviter la place forte, pouvoir reposer ses yeux de la vue de celle-ci, remettre à plus tard le plaisir de la voir sans pour autant être privé d’elle ; la tenir au contraire fermement entre ses griffes, ce qui…
Le principe d’une répartition des provisions est juste en soi, mais en fait seulement lorsqu’on a plusieurs places du genre de ma place forte. Plusieurs semblables places ! Évidemment ! Mais qui peut les bâtir ? D’ailleurs, il n’est plus possible à présent de les intégrer dans le plan d’ensemble de mon terrier. Je veux bien concéder qu’il découle de là un défaut du terrier, comme c’est généralement toujours un défaut de ne posséder qu’un seul exemplaire de quoi que ce soit. Der Grundgedanke einer Verteilung der Vorräte ist ja richtig, aber eigentlich nur dann, wenn man mehrere Plätze von der Art meines…
En de telles occasions, c’est habituellement le problème technique qui m’attire ; je me représente, par exemple, d’après le bruit que mon oreille est assez exercée pour discerner dans toutes ses nuances et enregistrer exactement, quelle a pu en être l’origine, ce qui me pousse alors à vérifier si la réalité le confirme. J’ai pour cela une bonne raison, car aussi longtemps qu’une vérification n’est pas effectuée, je ne peux pas me sentir en sécurité, même s’il ne s’agit que de savoir où roulera un grain de sable qui tombe d’un mur : et même un tel bruit, à cet égard, n’est…
Aujourd’hui, par exemple, j’ai commis trois impudences, l’une envers un conducteur, l’autre envers une personne qui m’était présentée – tiens, elles ne sont que deux – mais elles me font souffrir comme des crampes d’estomac. C’eût été de l’impudence de la part de n’importe qui, combien plus encore venant de moi. Ainsi, je sortis de moi-même, je luttai à vide dans le brouillard et, ce qui est plus grave, personne ne remarqua que je faisais cette impudence comme telle, qu’il me fallait la faire même à l’égard de ceux qui m’accompagnaient, qu’il me fallait leur montrer la mine appropriée et…
Ah, pouvoir d’un seul coup être un Indien penché dans le vent sur un cheval au galop, sentir secousse sur secousse monter du sol qui tremble, avoir enfin abandonné les éperons car il n’y avait pas d’éperons, jeté les rênes car il n’y avait pas de rênes, et ne plus voir qu’à peine, devant soi, la plaine comme une lande rase, et même plus, bientôt, ni la tête ni l’encolure du cheval. (traduction Bilmann/Cellard, in La métamorphose , 1997) Si l’on pouvait être un Peau-Rouge, toujours paré, et, sur son cheval fougueux,…
Je ne suis pas loin de prendre la décision de gagner le large, de reprendre encore une fois cette ancienne vie désespérante qui ne m’assurait aucune sécurité, qui n’était qu’une suite ininterrompue de périls et ne me permettait par conséquent ni de voir ni de redouter chaque danger particulier, comme ne cesse de me l’enseigner la comparaison entre mon terrier protégé et la vie vagabonde. Ich bin nicht ganz fern von dem Entschluß, in die Ferne zu gehen, das alte, trostlose Leben wieder aufzunehmen, das gar keine Sicherheit hatte, das eine einzige ununterscheidbare Fülle von Gefahren war und infolgedessen die…
Ne t’impose aucune contrainte, mais ne sois pas malheureux de ne te contraindre à rien, ou encore, si tu devais le faire, d’être obligé de t’y contraindre. Et si tu ne te contrains pas, cesse de flairer lascivement les possibilités de contrainte. Zwinge dich zu nichts, aber sei nicht unglücklich darüber, daß du dich nicht zwingst, oder darüber, daß du, wenn du es tun solltest, dich zwingen müßtest. Und wenn du dich nicht zwingst, umlaufe nicht immerfort lüstern die Möglichkeiten des Zwanges. Franz Kafka Journal Marthe Robert Grasset 1954 18 janvier 1922 0…
Vague espoir, vague confiance. Un interminable et mélancolique après-midi de dimanche, qui consomme des années entières, qui se compose d’années. Tour à tour désespéré dans les rues vides, puis, calmé, sur mon canapé. Étonnement, parfois, devant les nuages absurdes, sans couleur, qui défilent presque continuellement. « Tu es mis en réserve pour un grand lundi » « Bien parlé, mais le dimanche ne finira jamais. » Vage Hoffnung, vages Zutrauen. Ein endlos trüber Sonntagnachmittag, ganze Jahre aufzehrend, ein aus Jahren bestehender Nachmittag. Abwechselnd verzweifelt in den leeren Gassen und beruhigt auf dem Kanapee. Manchmal Erstaunen über die fast unaufhörlich vorbeiziehenden farblosen, sinnlosen Wolken. »Du…